Réussir le “jollof rice” de la protection des données personnelles en Afrique !

Des siècles de débats ont déchiré les passions entre sénégalais, ghanéens et nigériens principalement, sur les origines du “jollof rice”. Chacun de ces trois protagonistes  s’attribuant originellement son apparition sur le continent.  Notons d’ailleurs pour la petite histoire que le “jollof rice” est inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, ce qui peut également expliquer cet engouement.   

Ces débats à rallonge et passions déchirantes n’étaient pas si neutres et sans enjeux. En effet il est important pour ces états, d’avoir la reconnaissance africaine mais surtout internationale de la paternité de ce “jollof rice”, pour des raisons d’attractivité touristiques et économiques mais aussi et surtout pour des raisons identitaires et culturelles. Récemment, pour dire la messe sur cette histoire, L’UNESCO, suite à des travaux de recherches sur le sujet, a attribué la reconnaissance de la paternité du “jollof rice” au Sénégal. Autrement dit, ce “jollof war” a été remporté par le Sénégal, qui est donc reconnu comme pays d’origine de ce “Ceebu jën” tel que localement dénommé. 

Attention, ce plat ne varie pas que d’appellations. En effet, après avoir fait votre choix entre la dénomination “jollof rice” ou “ceebu jën”,  il faut relever que différentes déclinaisons de ce même plat existent dans les différentes cultures africaines, c’est-à-dire dans bien de pays africains au-delà du Sénégal. Chacun a donc su donner sa petite touche au plat mythique pour finalement avoir la prétention d’en réclamer la paternité. 

S’il faut retenir une chose de ce “jollof war” c’est que le lien le plus sensible au sein d’une communauté est celui qu’entretient chaque individu avec sa culture et plus globalement tout ce qu’il parvient à intégrer dans ce “portefeuille culturel”! 

 

Pourquoi ne pas utiliser cet enseignement pour développer la protection des données personnelles en Afrique? 

En effet, les populations africaines, du moins dans certains Etats bénéficient de la protection institutionnelle de leurs données à travers les lois et autorités indépendantes mis en place. Selon l’AFAPDP (association francophone des autorités de protection des données personnelles), “La première loi de protection des données (non disponible en français) « africaine » a été adoptée par l’Etat du Cap-Vert en 2001 (…) La première autorité de protection des données a été installée au Burkina Faso, suite à l’adoption de la Loi portant protection des données à caractère personnel en 2004”. 

Au Sénégal (le Jollof rice war winner), où depuis la loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 portant sur la protection des données à caractère personnel, il a également été mis en place une commission de protection des données personnelles appelée CDP (Commission de protection des Données Personnelles du Sénégal)A l’heure actuelle, 25 pays africains sur 54 disposent effectivement d’une autorité de protection des données personnelles

Au niveau international, l’Afrique se distingue également par le fait que certains pays africains, à l’exemple du Sénégal,  ont ratifié la convention 108, ouverte à signature le 28 janvier 1981, et à date le seul dispositif international  contraignant en matière de protection des données personnelles. 

Le constat est donc global, l’Afrique commence à bouger les lignes en matière de protection des données personnelles. 

 

Mais qu’en est-il des africains eux-mêmes ? Sont- ils bien informés de ces avancées? profitent-ils et ont-ils conscience de l’existence de tous ces droits et mécanismes mis au service de leur vie privée ? 

Sur cet aspect le portrait est moins flatteur. En effet, bon nombre des citoyens de ces pays disposant de loi de protection des données personnelles ignorent leur existence et bénéfices. Plus grave encore, ils sont nombreux à ignorer les concepts basiques et notions gravitant autour de la protection des données personnelles, ils s’en sentent tout simplement éloignés. 

Il est donc urgent d’intégrer la protection des données personnelles dans le portefeuille culturel des africains de manière générale, afin qu’ils y tiennent aussi farouchement qu’au jollof rice. 

Ce défi est d’autant plus important à relever que la population africaine n’est pas en marge de l’usage des produits et services numériques. que cela soit sur les réseaux sociaux, les sites internet, les objets connectés, les services cloud etc, l’Afrique  est partout et les données des africains également. 

 

Comment réussir le “jollof rice” de la protection des données personnelles en Afrique ? 

Tout comme le riz et le poisson/viande sont les 2 principaux ingrédients du “Jollof Rice” voyons à présent comment et quels sont les 2 ingrédients clefs d’un bon “Jollof Rice” de la protection des données personnelles en Afrique. 

 

1er ingrédient

Rendre les notions et concepts gravitant autour de la protection des données personnelles accessibles au moins dans la langue nationale, le wolofLe premier élément du “portefeuille culturel” d’un peuple est sa langue. Tout ce qui simplement a été intégré par un peuple, l’a été à travers la langue qu’il maîtrise. Si aujourd’hui le très populaire GDPR est tellement imprégné dans l’environnement français c’est surtout sous sa traduction  RGPD, et ceci est un exemple basique parmi tant d’autres.  Il serait donc important, pour maintenir l’exemple du Sénégal,  que les notions et concepts gravitant autour de la protection des données personnelles soient accessibles au moins dans la langue nationale qu’est le wolofCela permettrait aux citoyens sénégalais de se sentir plus concernés par la protection de leurs propres données personnelles étant donné qu’ils en auront acquis une plus grande compréhension. 

Par ailleurs il faut relever dans le cadre du Sénégal, que bien que le français soit la langue officielle, une partie de la population sénégalaise reste encore non scolarisée et donc sans maitrise parfaite du français, tout en ayant une maîtrise partielle ou complète du wolof (langue nationale). 

Pour réussir cette mission, les pouvoirs publics principalement peuvent s’appuyer sur: 

  • les ressources et la volonté des juristes sénégalais locaux et de la diaspora, spécialisés autour de ces sujets, 
  • les acteurs privés existant dans l’écosystème de la Data Privacy comme E-Karangé
  • le spécialistes de la langue wolof au Sénégal pour aider notamment à la traduction appropriée des termes. parmi ces spécialistes il ya incontestablement le professeur Massamba Gueye, directeur de la maison de l’oralité au Sénégal et autres confrères.

Cette vulgarisation doit nécessairement passer par une synergie des acteurs cités ci-dessus, de la CDP (autorité sénégalaise de la protection des données personnelles) et des pouvoirs publics (ministères, services de l’Etat etc).   

 

2e ingrédient 

L’intégration dans les programmes scolaires et universitaires, des concepts et fondamentaux de la protection des données personnelles. L’avenir d’un peuple se prépare dès l’instruction de la relève de ses dirigeants. Autrement dit, si l’objectif est d’inculquer une forte culture de protection des données personnelles au sénégalais et à ses futurs dirigeants, il serait judicieux de commencer à la base. Cette base n’est rien d’autre que le programme scolaire et universitaire. Il faut donc faire de la sensibilisation à la protection des données personnelles à tous les niveaux du système éducatif. Par ailleurs, et pour rappel,  les élèves et étudiants sont les premiers utilisateurs des produits et services numériques, quoi de plus naturel que de les sensibiliser de manière efficace. 

En France par exemple, bien qu’ils aient posé très tôt les bases de la protection des données personnelles, à travers la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, toutes les populations ne sont pas entièrement sensibilisées.  Il y a toutefois énormément de choses qui ont été faites et continuent à être faites dans le sens de la vulgarisation de la protection des données personnelles. Eh oui la vulgarisation de la protection des données personnelles, même pour les européens, est une longue et continuelle affaire,  Paris ne s’est pas fait en un jour dit-on d’ailleurs. 

La détermination des pays africains sur cette voie doit être sans doute égale ou supérieure à celle de ces derniers, en considération de l’urgence de la sensibilisation à ces questions, présente dans le continent.

  

La protection des données personnelles est d’abord une question individuelle avant d’être institutionnelle !

Il est urgent que l’Afrique de manière générale prenne à cœur cet ajout de la protection des données personnelles à l’actif du “portefeuille culturel” des africains.  Ce n’est que de cette manière que tout africain se sentira finalement assez proche de ses propres données personnelles et plus conscient et engagé à les protéger. N’oublions pas que la protection des données personnelles est d’abord une question individuelle avant d’être institutionnelle. Et sans cette acculturation par les africains de la protection des données personnelles, ni les lois, ni les autorités ni même un RGPD africain ne seraient efficaces!

Ce procédé peut passer à travers l’adaptation des concepts et  notions gravitant autour de la protection des données personnelles accessibles dans les langues locales africaines. D’autre part, il serait également pertinent  d’intégrer dans les programmes scolaires et universitaires, des concepts et fondamentaux de la protection des données personnelles, afin de former “tout le monde” et “très tôt”. 

A travers ces quelques pratiques prises à large échelle, nous avons l’espoir de parvenir tous ensemble, non pas à une “Jollof rice war” mais à une “Jollof rice Harmonie” de la protection des données personnelles en Afrique.

 

Martine Ndéo Diouf 

 

  

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